Délire d'un party de filles... vous pouvez vous amuser à démêler le vrai du faux !
Ce jour-là, elle s’était parée de ses plus beaux atours. Ce pantalon gris stylisé, assorti d’un chandail noir pailleté de rouge, lui donnait un look plus glamour qu’à son habitude. Était-ce le besoin de reconnaissance ou simplement l’envie d’agrémenter encore plus à fond cette journée ? Elle qui, d’ordinaire, arborait un style sportif en revêtant un jeans rehaussé d’un top bon chic bon genre style Marie Claire, fit sensation. Elle avait l’air plus jeune, plus mince, plus rayonnant, plus tout. Comme quoi maquiller la réalité, même légèrement, pouvait apporter des changements inespérés dans le comportement de ses proches et par conséquent, dans son estime d’elle-même.
Depuis sa tendre enfance, elle s’efforçait de paraître ce qu’elle n’était pas en réalité. Née dans un milieu pauvre, vulgaire, sans mots, sans passion autres que l’histoire des Plouffe et la lutte de la WWF, elle avait sans relâche tenté d’effacer la muflerie de son enfance pour se fondre dans des milieux de culture et de savoir. Ne plus disparaître dans cette masse populeuse sans envergure et sans destin et appartenir à cette autre classe, celle des gagnants. Elle avait déjà fait plusieurs tentatives mais sans succès. Elle avait côtoyé des fonctionnaires, des banquiers, des huissiers mais un côté d’elle ressortait constamment malheureux de ces milieux de snobs et de faux-semblants, qui pourtant de loin, possédaient toute la classe dont elle rêvait.
Elle ne s’avouait cependant pas vaincue pour autant. Tout en tentant de ne plus appartenir à son passé, elle ne pouvait le fuir. Celui-ci s’était imprégné en elle comme une trace d’encre laide et indélébile. Ces matins d’adolescence hivernale, où elle se réveillait dans cette maison trop froide, réchauffée par cette fournaise semblant sortir tout droit de l’enfer, lui faisaient horreur. Elle avait refusé des liens précieux d’amitiés à force de les exclure de son intimité, pour soustraire à leur vue ces pénibles images de fournaise au bois, de logement trop petit pour cette grande famille, d’arbres de Noël dégarnis. Elle avait vécu toute sa vie en recluse pour ne pas faire face à des jugements sur ses comportements de ménage, de lessive ou autre aspect de l’entretien de sa maison; comportements hérités par des journées composées de fainéantise devant Top Modèle et les Feux de l’Amour. Elle avait caché longtemps sa réalité. Trop longtemps même.
Elle se devait de sortir de sa coquille et de son mutisme. Elle avait ce jour-là, décidé d’effacer à jamais ce passé douteux afin d’entrer dans un monde sociable et prospère. Elle leur prouverait à tous et à toutes qu’elle n’était pas qu’une erreur dans leur vie, une poussière sur leur copie. Elle avait donc décidé d’organiser un souper avec ses amies proches pour se pratiquer avant d’attaquer un entourage plus large et plus sophistiqué, un banquet du siècle. Elle leur prouverait à tous et à toutes qu’elle savait recevoir dans un endroit bien tenu avec toutes les manières appartenant à la classe supérieure.
Sur sa liste, elle y retrouvait des invitées de marque. Leur nombre limité ne portait aucunement ombrage à la valeur anticipée de ce souper.
Tout d’abord, la grande, l’ultime, la prestigieuse, Stefwinnie l’Ourson. Stefwinnie était un être unique, apprécié d’une quantité insurmontable de personnalités. Elle évoluait dans son milieu avec une grâce désinvolte enviée de tous. Elle se fondait dans les hautes sphères sociales pouvant discuter à son aise, avec tous, de tout et de rien. Elle avait réussi tout ce qu’elle avait entrepris jusqu’à la mise au monde de filles parfaites qui buvaient de l’eau comme collation. Qui peut se targuer d’effectuer en ce bas monde tel tour de magie? Exemple parfait du calme, du contrôle sur soi et de la bonne humeur, on la confondrait facilement avec un câlinours !
Autre invitée, Martha Tremblay. Martha était l’exemple idéal du savoir-vivre et du savoir-faire. Mère de deux magnifiques garçons, femme à tout faire, ne démontrant jamais sa fatigue, prenant soin sans relâche et sans découragement de sa trâlée; les nourrissant amoureusement, les conduisant, toujours souriante, affectueusement, sans jamais un seul ronchonnement, à leurs activités du week-end. S’étant transformée en maîtresse à pensée pour l’occasion, pas un détail de cette soirée de rêve n’avait été oublié. La disposition des couverts, l’assortiment des couleurs, l’importance du centre de table devant se fondre dans le faste de la présentation, la propreté des lieux et de l’hôtesse. Il était pratiquement impossible de ne pas réussir une soirée si l’on appliquait à la lettre les conseils de cette merveilleuse organisatrice.
La troisième convive se nommait Chantal Rhéaume. Grande sportive, elle excellait au hockey. Son corps d’athlète lui donnait une prestance peu commune enviée par qui l’approchait. Cette force de la nature s'imposait comme autorité à qui croisait sa route.
La quatrième visiteuse, mais non la moindre, se prénommait Atomas. Toujours en contrôle de ses émotions, vibrant pourtant en son sein d’une ardeur peu commune, elle savait hypnotiser ses comparses avec sa bonne humeur éblouissante. Aucun endroit de sa personnalité n’eut pu être atteint par le sarcasme de sa progéniture cromagnonne. Elle était un roc sur qui toute personne pouvait se reposer.
Ce soir-là, à leur arrivée, ses invitées furent éblouies par la somptuosité de cette table dressée à une perfection atteignant celle des déesses. Elles discutèrent de choses et d’autres; certaines les touchant intimement et d’autres beaucoup moins. Le repas se déroulait d’une façon qui était certainement inoubliable; on en reparlerait encore longtemps par la suite, c’était évident. Aucun mot ne peut décrire la richesse des plats qui furent servis ce soir-là. Des entrées de cantaloup, fromage de chèvre et prosciutto, servies dans des plats datant de la préhistoire, aiguisèrent leurs fines papilles. Y faisant suite, l’hôtesse avait visé haut en servant son fabuleux plat de mécaroni. Tout était divin, à l’égal de ces nymphes de la discussion.
Cette soirée se déroulait parfaitement et surtout, dignement, et ce, jusqu’à l’inénarrable apparition de cette odieuse, de cette outrancière chose! Un traumatisme longtemps enfoui dans son cœur et sa mémoire fit une apparition aussi soudaine que brutale dans son cerveau. En cette nuit lointaine, elle avait surpris son père, un délinquant notoire, un être d’une vulgarité sans égal, affalé sur le sofa, se délecter d’ineffables films pour adultes. Il faisait des allées et venues de sa main droite en y tenant ce qui avait toute l’apparence d’un crayon vert, aux yeux de cette enfant trop jeune pour comprendre ce qui s’étalait devant son regard. Elle ne savait pourquoi, mais ce crayon vert l’avait hautement dégoûté à cette époque. Était-ce l’air suspect de son père ? Ou encore sa mine à la fois coupable et satisfaite ? Elle n’en savait rien. Ce fut pourtant le jour où, malgré son très jeune âge, elle comprit que l’expression « Avoir de la mine dans le crayon » avait un rapport quelconque avec ces plaisirs charnels coupables. Mais elle savait par contre qu’elle avait tout fait pour faire taire à jamais ce souvenir honteux et dégoûtant qui ressurgissait pourtant sans crier gare ce soir-là, à la vue de ce crayon vert sur cette table, avec toute la force d’un souvenir craignant sa propre mort. La vue de ce crayon, conjuguée au vin amollissant ses défenses naturelles et psychologiques, résultat en une formidable perte de contrôle. Sa conscience réalisait que son état de déséquilibre soudain risquait d’anéantir ses efforts pour que cette soirée soit absolument parfaite cependant que son état émotif s’écroulait sans qu’elle n’y pût rien faire.
Alors, dans un geste aussi fracassant que violent, sans égard pour la qualité de ses convives, elle s’empara de ce crayon vert et avec l’ardeur du désespoir, le frotta allègrement, dans un mouvement indécent, mais oh! combien plaisant, entre ses seins brûlants. Une richesse de caresses jamais atteinte jusqu’alors. Un geste indéfinissable, à la fois obscène et savoureux, nourrissant en elle ce désir tout à fait incontrôlable.
Une fois ce désir assouvi, malgré sa honte face à ce manque total de contrôle, le reste de la soirée se déroula à peu près normalement eu égard à ce contexte troublant. Il lui paru que ses invitées ne s’étaient point offusquées de sa conduite puisqu’elles continuèrent à partager son mécaroni ainsi que le reste du repas. À moins que leur contrôle ne soit le résultat de leur éducation sans tache. Enfin, outre son humiliation et son auto-dépréciation, elle ne subit pas de conséquences à ce moment de folie passagère qui révélait, une fois de plus, son manque de classe. Pourtant, subsistait un doute dans son esprit. Pour la majorité de ses invitées, elle pouvait leur faire croire avoir été victimed’une hallucination collective en raison de leur état mental alcoolisé. Cependant, elle craignait par dessus tout Atomas, qui avait gardé un parfait contrôle en elle de par son abstinence de vin. La raison et les émotions claires, celle-ci pouvait à tout moment surgir et la faire chanter, menaçant de révéler au grand jour ce dont elle avait été témoin ce soir-là. Une angoisse terrible subsistait en son esprit devant cette menace perpétuelle. Ainsi, se dit-elle, la prochaine fois, il lui faudrait être plus rusée. La prochaine fois, Atomas trinquerait !