Cerveau lent au volant!
Je possède un permis de conduire depuis 1990. J’ai toujours conduit mais personne ne s’en est jamais aperçu. Je conduisais du côté passager. J’ai toujours mis les freins au bon moment, vérifié les angles morts, les stops, les lumières, les piétons, les bicyclettes, la circulation. Je me trouvais souvent plus douée que le conducteur lui-même. J’étais fière de ma grande habileté au non-volant, mais je gardais cette information bien cachée.
Je possède un permis de conduire depuis 1990. J’ai toujours conduit mais personne ne s’en est jamais aperçu. Je conduisais du côté passager. J’ai toujours mis les freins au bon moment, vérifié les angles morts, les stops, les lumières, les piétons, les bicyclettes, la circulation. Je me trouvais souvent plus douée que le conducteur lui-même. J’étais fière de ma grande habileté au non-volant, mais je gardais cette information bien cachée.
En réalité, après avoir obtenu ce permis, j’ai conduit pour vrai, en tout, deux fois dans les rues de Montréal. Lorsque je dépassais 50 kilomètres à l’heure, la panique s’emparait de moi. J’avais peur de la route qui défilait devant mes yeux. N’ayant pas d’auto moi-même à cette époque, j’abandonnai alors l’idée de conduire. À Montréal et même dans le reste du Québec, je pouvais tout à fait me déplacer où je le voulais en raison, somme toute, d’un très bon système de transport en commun, malgré les critiques dont il fait l’objet.
Pendant sa maladie, lorsque j’allais visiter ma mère à Mont Joli, celle-ci me poussait constamment à prendre les clefs de son auto pour faire le tour du pâté de maisons. Elle me narguait en me disant que c’était facile, qu’elle ne voyait vraiment pas pourquoi je ne me lançais pas. C’était là geste anodin et je ne devais pas m’empêcher de commettre un acte aussi utile simplement parce que ma psyché faisait des siennes. J’étais intimement insultée mais étais tout aussi résolue à n’en rien laisser paraître.
Je réalisais cependant la fragilité de la situation dans laquelle nous nous trouvions. S’il arrivait quelque chose à ma mère, je devais être capable de prendre l’auto pour la conduire à l’hôpital. Je repris alors quelques heures de cours de conduite sur une auto manuelle. Là encore, je me faisais narguer par la bienveillance de ma mère. "Mais voyons, tu dépenses ton argent pour rien!, prends les clefs, prends les clefs"…
J’étais très nerveuse en me retrouvant au volant, mais tout de même, dans les rues quasi désertes de Mont Joli, j’arrivais à faire avancer la chose. D’autant plus que mon instructeur pouvait de son côté, mettre les freins à sa convenance. Je me sentais en sécurité.
Je me souviens de ses conseils :
- " Vous savez, vous pouvez respirer en conduisant! ".
- " Non, non, ce côté, c’est un sens unique".
- " Et ce côté, c’est le mauvais côté, celui de la circulation inverse ma petite madame !".
Lui aussi devait me trouver un peu hurluberlu de prendre des cours alors que j’avais déjà mon permis, mais je lui en sais gré de n’en avoir laissé rien paraître. Certaines personnes savent encore se conduire devant les faiblesses des autres.
Toujours est-il que je pouvais désormais prendre l’auto de ma mère. Et je ne sus jamais pourquoi, mais celle-ci n’accepta qu’une seule fois de se faire conduire par moi et cette seule fois j’entendis :
- " Fais attention, il y a un stop ! "
- " Oui maman, dis-je sagement. Euh, stop… ça veut dire quoi au juste ? ".
- " Non, normalement il faut que tu laisses passer les piétons avant de tourner. "
- " Je sais, mais je voulais simplement voir ce que ça faisait d’en écraser un ou deux, mais pas tous, promis."
- "Hiiiiip ! "
Traduction libre : cri de détresse provoqué par une terreur justifiée par absolument rien.
Toutes les autres occasions où j’aurais pu conduire, elle trouva des prétextes pour ne pas venir ou pour prendre elle-même le volant. Je lui en voulais de m’avoir poussée à faire tous ces efforts pour finir par les ignorer. Voilà l’humiliation dont certaines mères aimantes sont capables mais je sais que c’était un geste bien involontaire de sa part. Elle était ainsi. C’était simplement son mode de vie. Je n’y pouvais pas grand chose sinon prendre de grandes respirations et mon mal en patience.
Et guide le guidon !
Je rechutai et ne conduisis plus pendant près de 2 ans après cet épisode, jusqu’au moment où je pris possession de l’automobile de ma mère, après son décès. Un ami m’aida alors à remettre, mon automobile et moi-même, en route.
Pendant quatre semaines, je venais chez lui le samedi avec l’intime conviction que je reviendrais en automobile à la maison le soir. Je prenais bel et bien l’auto, je faisais le tour de 3 rues en trouvant le moyen de prendre un sens unique à rebrousse chemin et de là je revenais sagement chez lui en disant, " je reviendrai demain soir quand je serai plus sûre de moi ", ce qui revenait à dire, la semaine suivante.
Et le samedi suivant, je revenais. Deux heures d’autobus pour reprendre le même manège. Je retournais dans les rues environnantes avec toute l’angoisse de cette nouvelle situation.
" Le klaxon, ça doit être pour moi. Mais qu’ai-je fait encore? Bon, un stop. M... de conduite manuelle, encore arrêtée ! Oui, oui monsieur, calmez-vous, je repars dès que je réussis à faire repartir cet engin infernal de schnoutte de foutue conduite manuelle, mais pourquoi ça existe dont ces affaires-là !!! "
" Mais pourquoi me dépasse-t-il celui-là? Je pense qu’il me déteste. "
" Tiens, une auto-école, je vais les suivre, personne ne va me crier après si je les suis ".
J’imaginais que chaque personne sur la route me détestait et réagissait en fonction de mes gestes routiers. J’étais l’actrice principale de cette pièce de théâtre roulante et déroutante. Après 20 minutes de ce manège, j’étais complètement épuisée par cette pluie de scénarios qui s’abattait sur moi.
Parfois, mon ami qui était en fait mon ancien amoureux, s’assoyait sur le siège passager. Il avait l’intention bienveillante de m’aider dans mon nouvel apprentissage. Cependant, bien que se vantant d’avoir une patience en or, je semblai la mettre à rude épreuve. Il faut dire que certains possèdent moins d’or que d’autres.
- " D’accord, tu vois les lignes blanches et bien autant que faire se peut, tu dois rouler à l’intérieur", disait mon ami. " Bon, c’est bon, tu y es", continuait-il.
- " Oui mais, pourquoi tu passes par ce chemin, je t’ai dit de tourner à gauche! " finissait-il par maugréer après quelques minutes de patience d’or.
- "Attends, mais je n’en suis qu’aux virages à droite, moi ! lui lançais-je".
- "Tu sais, c’est possible d’aller plus vite, la limite de vitesse est de 50 km à l’heure."
Après un certain temps, j’imaginais arrêter ma batmobile descendue tout droit de l’enfer pour me narguer et ouvrir la portière de façon spectaculaire avec un grand geste d’éclat et replaçant de façon nonchalante mon boa en hurlant :
- " Je te laisse sur ce coin de rue si ne te la fermes pas ! Rien ne change jamais avec toi toujours aussi impatient à mon égard , tu ne m’as jamais fait confiance et tu as toujours essayé de tout gérer… ! Ahhhh! "
Mais hélas, cela signifiait que je devrais retourner chez moi le soir même avec la bête. Je n’avais pas vraiment le choix. Je me contrôlais du mieux que je le pouvais. Une soumission forcée remplaçait alors ma colère stressée. Plus tard, je serai totalement autonome, plus tard, tu ne perds rien pour attendre.
Et puis, un beau samedi, je revins à la maison en auto. Je mis une heure trente pour faire une route qui normalement prend vingt cinq minutes par l'autoroute. Bien entendu, avec toute l’assurance dont je faisais preuve au volant, j’évitai soigneusement les autoroutes… et les grandes artères… et les piétons… Si j’avais pu, j’aurais fait le chemin dans les ruelles de Montréal. Je priais pour connaître bientôt la télédéportation. Je m’égarai à quelques reprises mais je finis par trouver ma route jusqu’à la maison.
Avant de partir, mon ami me rassura en me donnant de précieux conseils :
- "Ne vas pas tout de suite au travail en auto, tu n’es pas prête."
- "Pratique-toi le soir dans les petites rues sans circulation."
- "Ne prend pas tout de suite les ponts, c’est dangereux."
Génial, il me restait les stationnements de centres d’achat à trois heures du matin ! Pour ce qui est des ponts, je les évitai bien évidemment pendant un certain temps. J’imaginais un vent de folie passagère s’emparant des nouveaux conducteurs, qui prenaient les ponts sans avoir suffisamment d’expérience et qui se transformaient en une sorte de Thelma et Louise défiant l’entendement du volant en s’envolant par dessus bord!
Je devais à cette époque, traverser le fleuve (donc prendre un pont !) pour me rendre au travail. Ainsi, avec ces judicieux conseils venant renforcer soigneusement ma grande confiance ( ! ), je laissai l’auto devant ma porte pendant quelques semaines de plus. Ma seule occasion de rouler était de la déplacer de côté de rue, les mercredis et les jeudis, pour le nettoyage de la Ville. Je devais être la seule personne à Montréal à avoir une auto et à se payer le transport en commun par peur de prendre ce satané volant. Je me trouvais totalement ridicule mais j’assumais ma folie.
La lutte
Jusqu’au jour où je décidai d’affronter le géant pont Jacques-Cartier. Je savais qu’il s’agissait d’une lutte à finir, j’étais devenue David contre Goliath mais je n’étais pas certaine de l’issue véritable du combat. J’imaginais la première page du journal de Montréal :
" Une conductrice perd les pédales sur le pont Jacques-Cartier et percute la ligne blanche. Il est difficile à cette heure de comprendre les événements qui ont précédé l’accident, mais la conductrice a vraisemblablement perdu la maîtrise de son bolide en roulant à 20 kilomètres à l’heure et a perdu la vie en étant étouffée par la ligne blanche. Par la suite, l’auto s’est emballée et est tombée dans le fleuve Saint-Laurent en sautant par-dessus bord sans même effleurer l’immense clôture de métal de 6 mètres de haut. Des citoyens inquiets réclament une commission d’enquête du ministre du transport afin d’élucider ce mystère et d’éviter que de futures pertes de vies humaines (aussi importante) ne se répètent."
Un beau samedi matin ensoleillé, je devais me rendre pour 10h00 a. m. aux Îles de Boucherville pour une course à pied de 10 kilomètres à laquelle je participais. Et je choisis cette occasion pour la confrontation. Je pris d’assaut le pont Jacques-Cartier à 7h00 du matin; à l’heure où j’espérais qu’il n’y aurait absolument personne et avec de la chance, il serait peut-être même fermé à toute circulation. Il faut vous dire, pour expliquer encore plus le ridicule de la situation qui se présentait à moi, que je vis dans l’Est de Montréal, à 5 minutes des Iles de Boucherville en prenant par le tunnel Louis-Hippolyte Lafontaine. Cependant, si j’avais trouvé le quart d’une pinte de courage pour affronter un pont ce matin-là, j’étais encore bien loin de croire que je pouvais l’emporter contre un tunnel sous l’eau! Et je partis à la conquête du fameux pont.
J’aimerais pouvoir vous raconter les péripéties d’une grande histoire de courage et de détermination dans cette lutte mais tout ce que je peux vous dire c’est que je me rendis au pont, je le traversai en 5 minutes et terminai ma route aux Iles de Boucherville avec en main, 3 heures à tuer avant d’aller courir 10 kilomètres. Et oui, c’est tout! J’en étais moi-même étonnée. Qu’avait donc de si mystérieux cette superstructure reliant le reste du monde à Montréal pour qu’on me mette autant en garde? La seule explication logique que je pouvais trouver est la peur panique des hauteurs de mon ami qui me mis en garde si maladivement. Ainsi, ce matin-là, j’avais vaincu ma peur mais aussi celle de mon ami. J’avais surmonté un deux pour un d’anxiété de ponts. Il y avait de quoi célébrer ! Je décidai alors de me rendre au Nouveau Brunswick, situé à 900 kilomètres, de Montréal, pour l’aller seulement, cet été-là, tout en passant par la Gaspésie pour aller enterrer les cendres de ma mère…
Suite et fin, la semaine prochaine
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire